Nadine Mabille, actualités

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Extraits de "Les enfants immobiles"

par Nadine Mabille

J’ai mis mon ours râpé
Mon cheval à bascule
Ma poupée ma toupie
Ma pantoufle de vair
Mon kaléidoscope
Ses mirages sa magie
Dans mon petit musée j’ai mis
Une fleur une feuille une branche
Un escargot qui parfois les dévore
Dans mon petit musée
J’ai déposé tes cheveux d’or

Caresse de soleil pour
Mes doigts engourdis
Et deux agathes
Aux reflets changeants
Qui ont la douceur de tes yeux.
De mon petit musée
J’ai fait un tombeau blanc
Je me couche  sur ton lit de pétales
Je m’endors dans la mousse
Qui te recouvre
Je serre contre mon cœur

Mes rêves et les tiens
Je laisse sous les cendres
Ce qui reste de moi
Je referme la porte
De mon musée
De ton mausolée
Et je pleure
Dans mon si long hiver.

Le garçon roux accompagne l’adolescente qui chantonne tout au long des saisons. Qui lui sourit. Il passe et repasse au-dessus de sa tête,  il a les ailes déployées d’un oiseau planeur,  il se laisse porter par le vent, il bondit par-dessus la haie, s’élance dans le pommier ou dans le cerisier. Il veut qu’elle sache qu’il est là pour elle, se coule d’un arbre à un autre, éclair d’or qui fait à peine remuer les feuilles, s’y pose un instant et s’envole à nouveau. Mais jamais il ne va dans le noyer, les branches sont trop espacées, on pourrait le voir. Ce qu’il veut, c’est se fondre dans les feuillages les plus denses pour se mettre à l’abri du regard des autres, ne sentir que son regard à elle. En automne, lorsque tout se dépouille, il se cache dans le grand sapin, même si celui-ci est trop près de la maison. Elodie s’alarme, pas lui. Le garçon aux cheveux de feu n’a peur de rien, il est agile, il la rejoint partout où elle va. Elle est si heureuse quand il est là, elle le lui a dit, elle le lui a répété. Mais si elle le désire un jour, il disparaîtra. Il ne dérangera jamais sa vie.

Mélodie de la Fille à la Moto

par Thomas Grandjean

Je roule vite, de plus en plus vite. Tout vibre sous moi, en moi,  mon corps est presque couché sur cette machine qui m’obéit et dont je fais partie intégrante, mes jambes l’étreignent, mes mains sont des serres cramponnées à ses poignées noires. Je n’ai jamais peur sur ma moto, je troue le brouillard, je tranche l’air, je fonce dans la grêle du printemps, dans la fournaise de l’été, dans le brouillard de novembre, dans les courants acérés de l’hiver. Je fonce droit devant moi. Ma combinaison couleur métal plaque à ma peau et protège mes tatouages, mon casque étoilé me fait une tête de guerrière. Je suis un monstre aux écailles d’argent qui crache du feu et fait reculer les autres. Je n’ai peur de rien, même pas des sauterelles géantes qui s’abattent parfois sur mon écran les nuits où je ne dors pas, se nourrissent de ma chair, font de la terre un désert. Dissimulée sous cette carapace, je suis à l’abri du monde entier, personne ne peut me reconnaître. Reconnaître ce qui reste de moi. Je suis un personnage et non pas une personne. Et je débusquerai celui qui m’a lancé un sort.

© Nadine Mabille, écrivaine